SDF

20 millions de SDF

Tous les matins à l’arrêt taxi il y’a ce Monsieur qui dort sous des cartons, il n’est pas fou, je le sais pour l’avoir souvent entendu discuter avec des gens à l’arrêt taxi, il a la conversation fluide, cohérente, et il est convainquant.  Je me demande tous les jours quand je le vois, comment c’est possible, je veux dire comment est-ce possible que sans être « fou » ou mentalement « en marge » quelqu’un puisse en arriver à dormir sous des cartons ici chez nous en Afrique, ici chez nous au Cameroun ?

On nous a toujours dit que le lien social est très fort, que la solidarité est une valeur sur laquelle on ne transige pas en terre africaine, encore plus en terre camerounaise dont les étrangers gardent généralement le souvenir d’une terre chaleureuse et accueillante, d’où mon étonnement. Au Cameroun, quelqu’un est toujours le quelqu’un de quelqu’un, si on est frère, on est forcément le frère de quelqu’un, si on est fils ou fille, on est forcément fils ou fille de quelqu’un, etc. alors comment, comment en arrive-t-on là ?Je me suis souvent « amusé » à me demander quel genre de vie il menait, quel genre de personne il était  avant, peut-être que c’était un bon vivant, un bon paresseux qui n’a pas su saisir les opportunités que la vie lui tendait, ou alors  peut-être qu’il avait tout,  qu’il avait une famille, une femme, des enfants, un emploi, peut-être qu’il était respecté dans sa communauté, si c’est le cas ça veut aussi dire qu’il a tout perdu, et qu’il n’a pas pu trouver dans sa famille (puisqu’on en a toujours une en Afrique de près ou de loin) quelqu’un qui a consenti à l’épauler dans cette épreuve ; le plus effrayant pour moi, c’est le fait de réaliser que cela peut m’arriver aussi à moi, cela peut tous nous arriver, on peut tout avoir et tout perdre ! Ce n’est pas le scénario bidon d’un film d’horreur ça, ça s’appelle la vie, la vraie !

Toutes ces questions on ne se les pose pas souvent, en tout cas pas assez, peut-être nous disons nous que ça n’arrive qu’aux autres, que dans notre entourage, on aura toujours quelqu’un pour nous soutenir, bref que c’est juste impossible. Mais peut-être aussi que ce n’est pas impossible après tout, si l’on y pense bien notre société est aujourd’hui plus que jamais en proie à l’effritement de la solidarité, à la nucléarisation des familles,  et à  l’individualisme qui nous ronge de l’intérieur ; la vie est plus que jamais un combat chez nous et chacun se bat pour sa survie(par exemple combien sommes nous qui lançons encore une ou deux pièces au mendiant du coin de la rue ? en tout cas moi je ne le fais plus, mon raisonnement est simple : il a ses quatre membres, il n’a qu’à travailler !) si vous ajoutez à cela la crise du logement, la rareté des emplois, les salaires presque dérisoires, vous avez un dangereux cocktail faisant de nous tous de potentiels SDF…

 

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