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Être ECI… quelle plaie !

ECI : lire « eucéi ». Abréviation dans le jargon de la fonction publique camerounaise. Signifie En Cours d’Intégration. Il s’’agit d’une confession sur l’état de latence avant d’être officiellement payé et reconnu comme fonctionnaire. Ceci n’est qu’un point de vue. Il existe des expériences bien plus heureuses.

Être ECI est un enfer. Je vous l’assure et vous le garantis. Si seulement je savais, je crois que je ne me serais pas arrêté à la promesse d’un salaire mensuel, à la promesse d’un « rappel » mirobolant, à la promesse d’une autonomie. Mensonges, duperies, tromperies et fadaises !

Avoir le matricule, du moins au Cameroun, ne signifie pas qu’on en a fini avec l’insécurité financière. Être fonctionnaire ne suffit pas. Cela ne me suffit pas.


A ma sortie d’une des rares grandes écoles qui intègrent encore, des amis m’ont appelé pour faire la fête. Intégration à la fonction publique, une grosse expression vide de promesses. Je savais que je quittais enfin le joug pesant et oppresseur des parents. Je savais que je serais travailleur, salarié et surtout autonome. Les autres m’envieraient. Quelle ineptie, maintenant que j’y pense. Je suis en plein dedans et je réalise que je me suis fait arnaquer par le système entier, par mes parents et plus encore par mes convictions. Avoir le matricule, du moins au Cameroun, ne signifie pas qu’on en a fini avec l’insécurité financière. Être fonctionnaire ne suffit pas. Cela ne me suffit pas.

Je me souviens, quand je faisais Norma Sup de Yaoundé. La suffisance que j’affichais vis-à-vis de mes camarades. Je ne comprenais pas pourquoi mes camarades tiraient une telle fierté, une telle gloire d’être enseignant. D’être un futur fonctionnaire. Je me souviens à quel point  je me permettais de juger la gestion parcimonieuse de mes parents, tous deux fonctionnaires. Moi, pensai-je à l’époque, quand j’aurais mon salaire, je ne me refuserais rien. Tu parles. Et pourtant, j’aurais du voir venir le calvaire. Je me souviens encore de la gentillesse de la dame de l’échoppe du coin chez qui nous avions une ardoise aussi longue que mon bras maintenant. Je me souviens aussi des crises entre les parents, signe de tension financière. Ces matins où, avant d’aller à l’école, je n’osais pas demander l’argent du pain pour mes frères et moi. Ces longs conciliabules, jusque très tard dans la nuit dans la chambre des parents, où maman pleurait parfois, consolée par son époux. Ces jours où entendre le bruit des couverts chez les voisins, leurs rires et leur joie de vivre faisaient gargouiller mon estomac. Et pourtant, mes parents étaient titulaires d’un matricule de la fonction publique…

L’hymne reste le même : « patience, le salaire arrive ». La variante, quand tu énerves le parent restera : « tu travailles les cailloux ? » Une façon de te marteler ton inutilité sociale. L’Etat manie, avec une dextérité machiavélique, la politique du fouet et de la carotte.


Ce kaléidoscope de souvenirs me fait sourire… jaune. Je me rappelle très bien avoir décidé que JAMAIS je ne serais fonctionnaire. Autant formuler un vœu pieux. Maintenant que je suis  ECI, je discute davantage avec ma mère. Attendre ce fameux salaire qui ne vient pas depuis plus d’une dizaine de mois a de quoi tuer toute forme de patience. L’hymne reste le même : « patience, le salaire arrive ». La variante, quand tu énerves le parent restera : « tu travailles les cailloux ? » Une façon de te marteler ton inutilité sociale. L’Etat manie, avec une dextérité machiavélique, la politique du fouet et de la carotte. « Souffre pour le moment car je te payerai quand je pourrai. Je suis crédible », semble dire l’Etat. Avec cette assurance du bonheur à venir, tu apprends à revoir tes ambitions à la baisse car personne ne veut – ne peut- plus financer la suite des études dont tu as tant rêvé. Il faut mettre une pause pendant que les autres du privé avancent. L’impression de piétiner est d’autant plus humiliante que ceux de ta génération roulent en  voiture de luxe, sont mariés avec enfants. Je me remets perpétuellement en question : ai- je fait le bon choix ?

Toute la question est là. D’autant plus qu’en discutant avec les autres fonctionnaires, tu réalises que tout est dans l’apparence. Ne jamais montrer qu’on souffre, même si l’obtention du matricule tend à nous clochardiser. En grandissant, j’ai compris que le seul moment heureux et malheureux en même temps, est le moment de la paie mensuelle. On apure les dettes afin de rester crédible au milieu du mois suivant. Le fonctionnaire camerounais vit constamment sur découvert s’il n’a pas d’autres sources de revenu. Je commence à me résigner : mes « à- côtés », mes « pointages » et mes « marchés » seront mes principales sources d’équilibre financier.

Je réalise aussi qu’il faut continuer de se battre, de cumuler des emplois informels surtout. Avec ce taux d’inflation qui galope, je vais souquer ferme. Sourires, courbettes et politesses : le lot des gens de Yaoundé. En fait, c’est cela le secret : l’avantage avec le fait d’être fonctionnaire est que tout n’est que question de disponibilité, d’opportunités et d’ententes – tacites ou non- avec notre supérieur hiérarchique. Être fonctionnaire au Cameroun semble se réduire à une simple question de présence au bon moment. Cynisme ou défaitisme, me direz-vous. Je vous laisse en débattre: je dois vaquer à mes autres occupations.

 

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