Silence, on assassine!
Ce n’est plus un secret pour personne: au Cameroun, la communauté LGBT (Lesbiennes- Gays- Bisexuel(le)s – Trannssexuel(le)s) n’est pas en odeur de sainteté. Ni au auprès des populations camerounaises, mais davantage de la communauté internationale. Ce qui fait sourire, c’est quand un responsable affirme à haute et intelligible voix que les personnes homosexuelles ne sont jamais inquiétées. Et pourtant, elles sont hors- la- loi, marginalisées.
Yaoundé, 2014. J’ai mis tellement de temps pour rédiger ceci que je me demande où cela nous mène- t- il parfois de vivre. L’absurde entame volontiers le pas sur l’indignation. Mais c’est comme le mensonge face à la vérité : le mensonge a les pattes trop courtes et se presse de prendre de l’avance sur la vérité en vain. La vérité, elle, en un pas, rattrape le millier de pas mensongers et dévoile avec davantage d’horreur ce qui est laid.
Je sais, j’écris de façon décousue cette fois. Car même si la vie et la mort sont normales, cette dernière dans certaines circonstances est d’une absurdité inepte.
En début d’année, Jean- Claude est décédé. Le début d’année, c’est janvier – mon mois d’anniversaire. Le moment de partir d’un nouveau pied. Je reste convaincu que je suis fermement resté embourbé, un pied dans cette gangue. Je sais, j’écris de façon décousue cette fois. Car même si la vie et la mort sont normales, cette dernière dans certaines circonstances est d’une absurdité inepte. Jean- Claude est donc décédé.
Jean- Claude, c’est quelqu’un que j’ai appris à connaître davantage depuis qu’il m’a avoué que oui, lui un homme aime les hommes. Au Cameroun. Je n’ose pas imaginer le choc de sa famille quand l’affaire a été sue, puis étalée sur la place publique. La Loi est dure, mais c’est la Loi. Comment je l’ai connu ? Vous savez, de la façon la plus banale : on a sympathisé sur les bancs de la fac. C’était ce genre de personne qui ne se plaint pas et vous écoute en permanence. Ce genre de personne qui vous fait comprendre à quel point il est incongru de porter jugement sur ce qui se passe dans la tête d’un individu. Jean- Claude était homosexuel et camerounais. Une antonymie adjectivale qui, révélée, fait office de condamnation. Condamnation à une mort sociale, cela s’entend, du moins au Cameroun.
Jean- Claude était homosexuel et camerounais. Une antonymie adjectivale qui, révélée, fait office de condamnation. Condamnation à une mort sociale, cela s’entend, du moins au Cameroun.
La vie de tous, ce service militaire. Jean- Claude m’a bien fait comprendre qu’il a longtemps bagarré contre ce penchant, contre lui- même. C’était son service militaire à lui. Aimer dans la clandestinité, se châtier, se retenir, se barricader, se raviser, se rassurer que ses sentiments étaient partagés, puis… puis en parler à un sinistre individu. Individu qui n’a pas eu la décence de le garder pour lui. J’ai observé Jean- Claude et même maintenant, j’ai encore du mal à rédiger un papier sur lui. L’amour, un bien grand mot. Quand j’y pense, l’amitié vient aussi de ce … sentiment. Par curiosité, je l’ai laissé se confier à moi. Et parfois, je rigolais de sa naïveté. Il ne cessait de me dire que je ne sais pas ce que c’est qu’aimer. Il avait bien raison. Chaque fois que je me suis plains de mes déboires amoureux, il secouait toujours la tête, en signe de dénégation : « Cesse de te plaindre car si je te raconte ma vie, tu vas me fuir ». De quoi attiser ma curiosité en fait. Finalement il m’a avoué qu’il fait l’objet de poursuites judiciaires.
Quelques activistes Canadiens à Montreal lors du Vigil organisé après l’arrestation de Jean-Roger.
Vigil Jean-Roger Photo © Amnesty International
C’est un texto de trop qui l’a induit en désaccord avec sa sécurité. Bien qu’il m’ait averti que le fait qu’on se côtoie autant pourrait m’apporter des soucis, je ne voyais toujours pas le danger. « Oui, tu es homo. Et alors ? Je ne le savais pas avant et ce n’est pas contagieux », lui avais-je opposé. Il avait souri de ma naïveté et m’avait raconté son histoire. Ce qui me marque le plus encore jusqu’à présent, c’est qu’il est resté mon confident silencieux : je l’ai accepté tel quel. Il a tout fait pour limiter nos entrevues : moins j’en saurais sur lui, mieux je me porterais. Mais c’était une telle injustice. Avait-il encore des amis depuis qu’il avait été dénoncé ? Plus tellement. Du moins, pas des compatriotes. Avait-il la peste pour autant ? Du tout.
Le SMS qui lui a valu la prison. Roger Jean-Claude Mbede
Ce qui m’a le plus choqué, c’est le rejet de sa famille. Sa famille aurait dû le protéger mais n’en a rien fait, loin de là. Elle l’a enfermée dans cette incompréhension, dans ce refus de comprendre qui il était. Il avait jeté la honte sur la famille. Il méritait la peine ultime, la mort. Nous sommes allés en congés et je n’ai plus jamais eu de nouvelles de Jean- Claude. Il m’avait expressément recommandé de ne pas essayé d’en savoir davantage car il se sentait suivi. Et moi qui trouvais qu’il en faisait trop. Lui et sa manie de la persécution. On est quand même dans un état de droit. Quelle naïveté. Puis il a commencé à avoir mauvaise mine. Sa propre famille l’avait dénoncé, il en était sûr. Et il m’avoua, dans une sorte d’urgence, qu’il avait un cancer. Amour bafoué, intégrité physique entamée et moral au plus bas, Jean-Claude me disait que les fois où j’essayais de le joindre, il était au champ. Comment, lui avec son cancer pouvait s’aventurer à effectuer des tâches physiques aussi lourdes ? C’était cela ou il mourrait de faim : sa famille l’avait abandonné à lui- même sans ressources. « On » l’ empêchait même d’avoir accès à des soins et voilà… Au moins, pour ne pas mourir de faim, il devait travailler dans les champs, laisser son école, hypothéquer sa vie, faire semblant, « être comme les autres » pour oser pouvoir revendiquer ce que nous appelons dignité humaine.
Vous ne le connaissez sans doute pas personnellement, mais il y en a toujours un dans notre entourage. N’oubliez pas qu’un hétérosexuel qui marque de l’affection pour la société homosexuelle n’est pas d’une intelligence inférieure
Il ne s’y est pas résolu car « vois-tu, mon cher ami… on ne fait pas semblant de ne plus être homosexuel. On l’est et on assume. Jusqu’au bout, on prend acte. » Je n’oublierai ces dires de JC. Il avait un procès et je me disais qu’il allait s’en aller. Le dénouement n’a pas été celui qu’on croyait, du moins, celui que je croyais : Jean- Claude est décédé. Après des « rites », des « exorcismes » à répétition, des humiliations pour n’avoir pas été comme les autres. Tant de haine et de désaveu en l’être humain me donnent toujours la nausée. Il a eu le courage de mener son combat. Pour moi, c’est cela être un véritable macho : assumer ses choix, ce qu’on est et avancer en ayant foi en l’avenir.
Amnesty International n’a pas oublié le sacrifice de Jean-Roger.
Gay Community rallies in memory of Jean-Roger by Amnesty International – Finland
Vous ne le connaissez sans doute pas personnellement, mais il y en a toujours un dans notre entourage. N’oubliez pas qu’un hétérosexuel qui marque de l’affection pour la société homosexuelle n’est pas d’une intelligence inférieure, ni que sa capacité à aimer est si minime qu’il lui faudra s’entourer des “pires homosexuel(le)s” pour se sentir supérieur. Jean- Claude était une « anomalie » au regard du système camerounais. Jean- Claude était homosexuel. C’est dit. La loi camerounaise ne l’a jamais protégé en tant que personne issue de communauté minoritaire. Il aurait pu survivre si jamais il n’avait eu le courage de déclarer son amour à quelqu’un qu’il croyait aimer. Sa bêtise ? Se croire dans l’alcôve du non- dit, de l’interdit et du partagé. Mais cette fois, la justice camerounaise a été particulièrement regardante.
Christian M.
Nous avons su, à la rédaction, le décès de Jean- Claude par les médias. Il ne demandait qu’une seule chose : sa réhabilitation, qu’on cesse de le considérer comme un criminel et partant, la dépénalisation de l’homosexualité au Cameroun. L’Etat s’est fait complice de son assassinat et sa famille, la main vengeresse qui a abattu le couperet. Dans le silence le plus complet, l’indifférence la plus blessante et l’incertitude sur l’avenir des autres cas semblables au sien demeure.
Pour en savoir plus sur l’histoire de Jean-Roger, Retrouver l’entrevue de Alice Nkom ici
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