Street_Art_Yaounde_Downtown

« Tu mangeras à la sueur de ton front »… et autres aléas

Le Camerounais de base et, soyons moins sexiste et macho, la Camerounaise de base savent ce dicton qu’on leur apprend sinon qu’ils expérimentent bien souvent très tôt à leurs dépends. Tu mangeras à la sueur de ton front. Au- delà de la fameuse malédiction qui nous viendrait d’Adam depuis qu’il a quitté le Paradis en compagnie d’Eve, il est temps de savoir comment cette « malchance » nous a suivis jusque dans nos choix de métier. Faites le tour des petits enfants de la « grande école », c’est-à-dire de la SIL au C.M.2, sur leurs aspirations futures, vous entendrez de tout mais jamais, je vous le garantis, au grand jamais, aucun ne vous dira d’emblée qu’il veut être… artiste- peintre. Vous souriez ? Pourtant c’est ainsi, la vie au Cameroun est ainsi faite et refaite : vivre de son art au Cameroun relève carrément des Beaux- Arts…

Cap sur Yaoundé, ville réputée trop conventionnelle et psychorigide. Ceux de Douala s’accorderont à vous dire que la Capitale politique du Cameroun, c’est mort donc plat comme une sauce gombo sans obstacles (morceaux de viande ou de poisson) et dépourvu de culture. Pourtant, si on a pu voir des fresques murales ça et là, on se demande si tous les artistes plasticiens vivent à Douala, et que Yaoundé ne fait qu’importer l’art, pour s’acheter et se fabriquer une âme culturelle. On est alors en droit de se demander s’il n’y a pas d’artistes- peintres que Yaoundé fabrique d’elle- même. La recherche ne semble pas aussi difficile qu’il n’y parait : outre le marché de l’artisanat encore en construction, il y a à l’université de Yaoundé I, la fac des Arts. Le Mur est toujours là. Maintenant, il nous faut trouver en urgence ceux qui ont effectivement élaboré ce remarquable travail. Et c’est là que tout se complique. L’administration universitaire se fera muette, comme si elle avait honte des produits de son université.

Nous sommes obligés de quitter les bureaux et retourner dans les rues du campus. Le bouche à oreilles, ça marche au Cameroun. Qui a peint les fresques murales ? Des étudiants, nous dit- on. Il s’agirait même d’un devoir sur lequel ils auraient été notés. Je reste dubitatif face à ce supplément d’information. Où les trouver ? Là, personne ne sait. Il faut repartir en faculté des Arts. Je fais le pied de grue au portail avec une question : où est le club des Arts Plastiques ? Au moins, je suis sûr de trouver des artistes qui, à défaut d’être de la faculté des Art de Yaoundé I, sauraient au moins me rediriger judicieusement vers les auteurs que je cherche.

Finalement, j’obtiens mon information et me dirige vers les locaux du club. Pas de peur, juste l’excitation. Au pire des cas, je me ferai jeter  à la porte. S’il y a des gens. Sourire. La porte est grand ouverte, dans un des bâtiments de résidence des étudiants.

Artist Studio

On y entre et tout de suite, on se retrouve dans ma conception d’un atelier : des esquisses, des tableaux sous des bâches de protection, un jeune homme accroupi au torse nu qui prépare sa palette de peinture posée au sol. Des traces de peinture partout : le sol, la table autour de laquelle deux autres sont entrain eux aussi de travailler. L’espace de travail est… convivial et les occupants sont curieux de me voir débarquer. Les présentations sont rapidement faites et je leur dis que c’est la peinture qui m’amène et là, je réalise ma  chance.

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Ceux qui sont  attablés dans ce petit espace, et sont entrain de faire des planches de dessins, sont parmi ceux qui ont fait la fresque de la Cité U. Pour faire partie de ce club, il faut être étudiant de plein droits de l’université de Yaoundé I, s’acquitter des frais d’inscription au club 3500f CFA pour les nouveaux et 2500f CFA par an pour les anciens. Ils ont tous le sourire désabusé face à mes questions : non, il ne s’agit pas d’un devoir noté mais d’un projet qui était censé s’étendre à l’université entière. Projet est le mot qu’on utilise ici pour maquiller l’abus dont ils ont été victime. De l’argent promis, ils n’ont pu expérimenter à fond la fable du Corbeau et du Renard de La Fontaine, c’est-à-dire trois fois rien ou presque. Là j’accuse le choc et cela se lit sur mon visage. Ils s’esclaffent. L’un des peintres me fait savoir que c’est cela, leur pain quotidien. Être artiste- peintre comme eux, c’est d’abord vivre comme Jésus Christ. Excusez du peu, mais je me suis signé automatiquement et in petto. Le ton est donné d’entrée de jeu.

« Quand j’ai dit à la maison que je veux être artiste, on -les parents, pourvoyeurs de fonds- m’a répondu « ouais, ouais, c’est ça… t’es sérieux là ? En tout cas pas dans ma maison ». Tout le malaise vient de là. Les parents ne veulent pas entendre parler d’art sous aucune façon  possible. En tout cas, pas comme métier ». Ils ne cessent de continuer, ce faisant, de dessiner. Il se dégage d’eux une sorte d’habitude du malheur. Le désintéressement de la famille pour certains, la pression psychologique et financière pour d’autres aurait du les pousser à rendre les armes. En effet, vu qu’ils partagent cette même passion pour l’art, ils se serrent plus ou moins les coudes tant qu’ils sont dans la même galère. Le génie créateur ne suffit plus, il faut le travailler, le cultiver. C’est là que le bât blesse: le matériel de peinture et de dessin coûte les yeux de la tête, le travail qui se fait sous commande est des plus rare et quand bien même il y a commande, la malhonnêteté flagrante de certains clients en refroidi plus d’un, même si l’inspiration est partout.

Drawings

Pourtant il faut survivre.

La survivance ici implique d’abord une certaine polyvalence. En plus d’être dessinateur à la base, le passage d’artiste- peintre à peintre en bâtiment est vite fait à l’occasion d’un « pointage » puisque la famille coupe les vivres et qu’il faut manger, payer ses factures… pour ne citer que ces basiques. Magicothep, un des artistes présents, a choisi aussi la voie de la sérigraphie et le travail qu’il a fait sur le tee- shirt qu’il porte est remarquable. Alors on leur a demandé si cela suffisait pour subvenir à leurs besoins. On avoue tout de suite que non. Il faut en plus participer à des concours pour se faire connaître. Sauf que même là, l’issue est incertaine, puisque seul le système de bouche à oreille prévaut ici et que seul les meilleurs ont droit de cité. L’information ne passe qu’à dose homéopathique (sous forme de gouttelettes de perfusion). Internet serait un facteur gênant car encore cher pour leurs bourses puisqu’ils ne savent pas qu’en plus, ils pourraient se rapprocher des institutions scolaires internationales qui  accordent dans leurs cursus de formation, une place de choix à l’éclosion de nouveaux talents en matière d’arts plastiques : les annonces pour encadreurs de ce type sont légion et le comble est que nos artistes ne le savaient pas. Mon avis est qu’ils ont besoin d’un encadrement et d’un suivi professionnel, notamment sur comment faire valoir leur savoir-faire et en vivre décemment. Ce serait le moins qu’on puisse faire pour ces étudiants au talent sous employé.

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