Levirate_Moshare

Un papa « en partage »

mes frères et moi avions en lui un père, qui nous prodiguait des conseils sans pour autant se substituer à notre défunt père, il connaissait sa place et ça c’était bien.


Je me rappelle toujours de mon enfance au village des jeux, des sourires, et de l’ambiance bon enfant qui y régnait, je me rappelle de ma mère si douce, si gentille, si affectueuse, si…mère ! Mais je me rappelle aussi de ce monsieur, ce monsieur si gentil qui venait souvent nous rendre visite, très souvent (beaucoup trop souvent au goût de mes frères d’ailleurs) il arrivait il venait avec des régimes de plantain et quelques fruits de saisons. Je me rappelle de ce monsieur, je me rappelle que je me disais que sa venue était la bienvenue, après le décès de mon père quelques années auparavant ; mes frères et moi avions en lui un père, qui nous prodiguait des conseils sans pour autant se substituer à notre défunt père, il connaissait sa place et ça c’était bien.

Je me souviens aussi que très tôt, je me suis demandé pourquoi ce monsieur ne venait pas carrément habiter chez nous au lieu de ces multiples va-et-vient 4 jours sur 7, pourquoi il ne s’installait pas définitivement chez nous et dans nos vies par la même occasion, mais la réalité me rattrapait aussitôt, oui la vraie raison tout le monde la connaissait, je la connaissais : c’est qu’il avait un chez lui, il avait une femme et 5 enfants dont certains avaient le même que mes frères et moi. Ils nous connaissaient, nous les connaissions, je ne dirais pas que nous les détestions mais je dirais qu’« on ne les calculait pas », mais eux, c’est sûr nous détestaient !

Quand j’y repense je me dis que dans leurs mentalités d’africains il était surement tout à fait normal qu’un « frère » vienne en aide à la veuve de son « frère » lorsque celui-ci casse sa pipe ; sous d’autres cieux ça s’appelle le lévirat.


La « super » ambiance qu’ils mettaient un point d’honneur à installer au marigot ou à l’école que nous fréquentions dès que nous étions dans les parages était bien là pour le démontrer, lorsque les intrigues et les chamailleries ne suffisaient pas, les regards incandescents étaient tout aussi bien parlants. Personnellement je ne leur en voulais pas, peut-être me serais-je aussi comportée de la sorte si mon père passait 80% de son temps dans une autre maison que la nôtre, à jouer avec d’autres enfants que mes frères et sœurs, à épauler une autre femme que ma mère. Mes frères ne pensaient pas pareil, je les comprends aussi, les hommes ont cette aura guerrière et cette fierté qui ne les aident pas beaucoup quand il s’agit d’apprécier les situations…

Ceux qui semblaient aussi ne pas y accorder une grande attention, ce sont les autres habitants du village, oui en fait tout se passait dans l’indifférence totale de l’ensemble du village, nous n’avions jamais pu déceler la moindre animosité venant d’un quelconque autre habitant du village. Quand j’y repense je me dis que dans leurs mentalités d’africains il était surement tout à fait normal qu’un « frère » vienne en aide à la veuve de son « frère » lorsque celui-ci casse sa pipe ; sous d’autres cieux ça s’appelle le lévirat. La situation était donc connue de tous, je ne dirais pas approuvée de tous, mais au moins cautionnée par tous c’est certain ! la vie suivait son cours normal au village, et les allées et venues de ce monsieur qui montait le matin avec un régime de plantain et redescendait le bras vides (bien entendu il ne pouvait rien emporter de chez pour le chez lui, le manque de respect pour vis-à-vis de sa femme et ses enfants aurait atteint son paroxysme) les bras vides faisait partie du décor, c’était « normal », ou en tout cas ça semblait normal puisque mes oreilles de gamines de 9 ans – à l’époque – ai eu la chance de profiter de cet être formidable qui nous a quitté depuis peu, mais qui a marqué ma vie aussi profondément qu’aurait pu le faire mon géniteur s’il avait vécu assez longtemps pour ça.

En somme chaque fois que j’y repense, je me sens si privilégiée d’avoir pu profiter de ce papa en partage.

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