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Mariage au Cameroun : quand l’argent fait le bonheur

Ma fille, tu vas coûter cher!  Tu vas rembourser tout ce que ta famille a dépensé pour les femmes de tes frères…” Le vieillard m’observe longuement en affichant un sourire satisfait. Encore un inconnu qui va s’inviter à mon mariage sans que je puisse l’en empêcher ; ne me demandez pas de quel droit, je n’en ai aucune idée. Il parait que c’est la tradition.

Encore appelé « prix de la fiancée », la dot représente l’ensemble des biens que le futur époux offre à la famille de sa fiancée pour la célébration du mariage traditionnel. Elle consiste à donner du bétail, de la nourriture et/ou de l’argent aux patriarches et autres représentants de la famille de la future mariée qui devient ainsi la propriété de son conjoint.

« Il faut faire ce genre de choses dans les règles .La dot, poursuit mon interlocuteur, est très importante. C’est le signe que ton mari te respecte et qu’il respecte aussi ta famille».

Respect dont certains se passeraient volontiers car estiment-ils, la dot est devenue un moyen pour les familles de se faire rembourser par le futur époux, toutes les dépenses consenties pour l’éducation de leurs filles.

C’est le cas de Valdès, blogueur et spécialiste en TIC qui me confie son ras-le-bol : « Si on pouvait supprimer la dot, cela ne serait que bénéfique, particulièrement pour nous les jeunes. La dot est sensée être un acte symbolique de présentation et d’union de deux familles, mais aujourd’hui c’est devenu un business, une sorte d’exutoire ou chaque membre de la famille de la fille établit une liste de vœux qui doivent être réalisés par le gendre ! En tout cas dans mon cas, ils devront accepter ce que mes efforts me permettront de leur offrir, sinon je prends la fille sans la doter. Elle-même devra choisir son camp !».

Son collègue Samvick I. partage cet avis : « Ne l’oublions pas, nous sommes des Bantous et en tant que tels, nous ne repoussons jamais un gendre à cause de la dot. Moi je suis un gars de principe, si une famille veut me faire chier en pensant que c’est moi qui vais l’enrichir, je les laisse avec leur fille qui je suis sûr, me reviendra».

Franck William B. se veut plus conciliant : «  Parlant de la dot, c’est un symbole fort et pérenne de notre culture. Je ne trouve pas qu’elle soit un frein sauf dans le cas des tribus ou l’on demande encore le ciel et la terre au gendre. Certains vont jusqu’à demander des voitures, mesurer la taille des porcs et des chèvres le jour de la dot comme si c’est toute la famille que tu épousais. Je fustige cela mais je partage l’idée de la dot qui je pense devrait évoluer avec le temps. »

Vous l’avez compris chers lecteurs, le sujet donne des sueurs froides à plus d’un. Les femmes ne sont pas en reste et au lieu d’attendre une dot qui ne viendra peut-être jamais, certaines ont décidé de prendre le taureau par les cornes. C’est le cas de Hermine B. qui confie : « Nos familles ne l’ont jamais su, mais j’ai aidé mon fiancé à payer la moitié de ma dot. Il n’y serait jamais arrivé tout seul. Nous avions déjà un enfant mais mes oncles exigeaient que la dot soit payée avant que l’on emménage ensemble. Dans ces cas-là, obéir est la meilleure solution, la rébellion peut avoir des conséquences très graves. ». En effet, certains sont d’avis qu’il vaut mieux respecter la tradition et éviter de prendre le sujet à la légère de peur de provoquer une colère ancestrale dont le résultat peut parfois s’avérer désastreux. Pierre W. en a fait les frais : quatre ans après avoir officiellement scellé leur union, sa femme n’arrivait toujours pas à concevoir. « Nous avons tout essayé, explique-t-il.  A l’hôpital, on ne trouvait rien. Nous sommes donc allés chez un guérisseur traditionnel qui nous a expliqué que c’était un monsieur de la famille de ma femme que nous avions offensé. Il n’avait pas perçu sa part de la dot et était en colère. Nous sommes allés lui rendre visite au village, lui avons offert quelques cadeaux et trois mois plus tard, ma femme était enceinte. Aujourd’hui, nous avons cinq enfants ». Chez nous, les superstitions ont la peau dure, me direz-vous, mais les témoignages comme ceux de Pierre sont légions.

Le problème de la dot au Cameroun continue de faire couler beaucoup d’encre, de sueur et de larmes. En tant que l’un des piliers de la culture Africaine et base non-négligeable d’un foyer homogène, la dot est sans nul doute une tradition à préserver. L’idéal serait de respecter la valeur symbolique du « prix de la fiancée » en permettant au futur époux de gratifier sa belle-famille en fonction de ses moyens. Malheureusement, de moins en moins de familles l’entendent de cette oreille, tout le monde veut sa part du gâteau et le futur gendre a intérêt à satisfaire toutes les demandes.

Et ce n’est pas tout! Une fois l’étape de la dot passée, les plus courageux affrontent ensuite celle du mariage à l’état civil, généralement suivi d’un office religieux et d’une soirée dansante en l’honneur des mariés. Le bilan de toutes ces célébrations ? Des chiffres qui donnent le tournis: le mariage chez nous nécessite une préparation financière, psychologique et même physique adéquate. Je peux logiquement conclure que ceux qui affirment que l’argent ne fait pas le bonheur ne se sont jamais mariés au Cameroun.

 

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